Les députés François Ruffin (LFI) et Bruno Bonnell (LREM) ont présenté le 24 juin le rapport de la mission parlementaire d’information sur les métiers du lien, consacré entre autres aux animatrices et animateurs périscolaires. François Ruffin nous en présente le contenu, qui débouchera sur une proposition de loi à la rentrée.
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-eco/l15b3126_rapport-information
– Échanges sur le rapport Bonnel et Ruffin sur les métiers du lien
Proposition n° 5 : Faire en sorte que les conventions collectives prévoient une clause d’indexation sur le SMIC des niveaux de rémunération (conventions collectives).
Proposition n° 15 : Harmoniser par le haut les rémunérations des animatrices, quelle que soit la nature juridique de leur employeur (conventions collectives).
Proposition n° 16 : Construire de « vrais » temps pleins pour les animatrices périscolaires
– Reconnaître le temps de préparation des animatrices (environ 30 % du temps de travail) dans le temps de travail effectif ainsi que le temps d’auto-formation (convention collective) ;
– Prévoir que toute heure de travail effectuée entraîne la rémunération de l’ensemble de la demi‑journée (convention collective) ;
– Prévoir l’obligation de proposer un CDD à une animatrice périscolaire qui aurait travaillé plus de six mois comme vacataire (législatif) ;
– Réfléchir aux complémentarités avec d’autres métiers, pour éviter les coupures trop importantes dans les emplois du temps des animatrices et adapter les formations en conséquence ;
– Instaurer un temps de travail minimum à 17 h 30 pour les animatrices de la fonction publique territoriale pour résorber l’emploi précaire et les temps partiels subis (réglementaire).
Proposition n° 28 : Prévoir davantage de temps d’échanges entre professionnels intervenant à l’école
– Systématiser les temps d’échanges de pratiques entre pairs dont la possibilité est prévue par la circulaire du 5 juin 2019 (réglementaire) ;
– Allonger la durée des formations sur les positionnements respectifs des AESH et des enseignants en situation de classe (réglementaire).
Proposition n° 29 : Garantir aux animatrices périscolaires le droit à un suivi médical et réduire les risques psycho‑sociaux
– Développer les formations à la prévention des risques psycho-sociaux dans le secteur de l’animation (réglementaire et bonnes pratiques) ;
– Systématiser les visites médicales d’embauche et périodiques (bonnes pratiques), notamment en renforçant les effectifs des services de santé au travail (loi de financement de la sécurité sociale).
Proposition n° 30 : Développer les temps d’échange entre les animatrices périscolaires ainsi qu’avec les enseignants (convent
Proposition n° 32 : Renforcer la formation continue et les passerelles avec les métiers du sanitaire
– Prévoir que les conseils départementaux garantissent à l’ensemble des aides à domicile qui interviennent dans les structures autorisées par le département, l’accès à une formation qualifiante qui pourrait être le diplôme d’État d’accompagnant éducatif et social (DEAES) (réglementaire) ;
– Fusionner l’OPCO services de proximité, l’OPCO cohésion sociale et l’OPCO santé pour encourager la formation continue et développer la mobilité professionnelle des salariés (législatif) ;
– Mettre à profit la refonte du référentiel de formation du DEAES pour consolider un socle commun et des passerelles avec le métier d’aide-soignante (réglementaire). À terme, aller vers un métier unique d’accompagnant au quotidien des personnes en perte d’autonomie.
Proposition n° 33 : Considérer que chaque salarié compte pour un dans le calcul des effectifs qui conditionnent la mise en place de représentants du personnel dans l’entreprise, même s’il est à temps partiel (législatif
Proposition n° 41 : Mettre en œuvre une politique nationale ambitieuse en matière de périscolaire
– Revaloriser les loisirs, indépendamment de tout enjeu scolaire ;
– Faire de l’accueil périscolaire une compétence obligatoire des collectivités et prévoir une hausse des dotations de l’État en conséquence (législatif) ;
– Élaborer des statistiques nationales spécifiques à l’animation en milieu périscolaire (nombre d’animatrices, caractéristiques socio-démographiques, etc.) (bonne pratique).
Proposition n° 42 : Faciliter l’accès à la formation continue et mieux prendre en compte les qualifications dans les rémunérations
– Faire en sorte que toutes les animatrices périscolaires passent, un an après le début de leur contrat ou de leur entrée dans les cadres, une formation qualifiante (conventions collectives et réglementaires) ;
– Faciliter la possibilité de passer des modules du BPJEPS en VAE (réglementaire) ;
– Permettre l’ouverture du CQP Animateur périscolaire à l’apprentissage et développer, à terme, l’apprentissage dans le cadre du BPJEPS (législatif) ;
– Renforcer la prise en compte des qualifications dans les grilles salariales de la branche de l’animation (conventions collectives).
Proposition n° 43 : Offrir de vraies perspectives de carrière aux animateurs
– Organiser des passerelles plus claires entre le monde associatif et la filière territoriale de l’animation (réglementaire) ;
– Dans la filière territoriale de l’animation, fonctionnariser l’ensemble des animatrices périscolaires contractuelles. Cesser les glissements de missions de la catégorie B vers la C et créer un cadre d’emplois de catégorie A pour permettre une vraie progression de carrière. Prévoir l’obligation de proposer un CDD à une animatrice périscolaire qui aurait travaillé plus de six mois comme vacataire (législatif et réglementaire).
- Les animatrices périscolaires
- Une absence de continuité dans les contrats qui pèse durement sur les projets personnels
Les animatrices périscolaires travaillent sous plusieurs statuts qui leur donnent accès à des droits et à une sécurité de l’emploi variable. Les associations et les collectivités territoriales sont les principaux employeurs. Les collectivités locales recrutent des animateurs et animatrices soit directement, soit au travers de structures telles que les centres communaux d’action sociale (CCAS) ou les caisses des écoles. Selon le CNEA, deux tiers des animatrices périscolaires dépendraient de la convention collective de l’animation ([57]).
Employées par les collectivités territoriales, les animatrices ont soit le statut de fonctionnaire territorial (recrutement sur concours), soit le statut de contractuel. D’après le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), environ 31 % des personnels de la filière animation sont des agents contractuels, soit plus encore que dans les filières culturelles, sportives et médico-sociales. Or les contractuels sont particulièrement concernés par des temps de travail non complets et par des situations de multi-employeurs. Selon une enquête ([58]), 45 % des animatrices non titulaires pensent qu’il y a un risque pour elles d’être licenciées dans les deux années après leur embauche. Les animatrices peuvent être recrutées en tant qu’« adjoints d’animation » de catégorie C (sans concours pour le premier grade mais sur concours pour les grades suivants) ou en tant qu’« animateurs territoriaux » de catégorie B sur concours. D’après le CSFPT, la filière animation compte plus de 85 % des agents en catégorie C, dont 81 % au premier grade. Or, la catégorie C est marquée par des conditions de travail particulièrement difficiles (temps de travail fractionné, amplitudes horaires fortes) et des rémunérations notoirement insuffisantes. Enfin, de nombreuses animatrices périscolaires sont également employées comme vacataires, au statut extrêmement précaire. Ce dernier n’offre ni droit aux congés payés, ni droit à la formation, ni à aucun complément de rémunération (supplément familial de traitement, indemnité de résidence).
Si dans la branche de l’animation, un grand nombre d’animatrices sont titulaires d’un CDI intermittent ([59]), force est de constater que le recours aux contrats à durée déterminée n’est pas rare (environ 24 % des salariés de la branche de l’animation). Certaines animatrices sont même parfois recrutées sous contrat d’engagement éducatif (CEE) ([60]).
L’absence de continuité dans les contrats empêche un certain nombre d’animatrices de concrétiser leurs projets personnels. Les animateurs et animatrices rencontrés ont fait part de leurs difficultés à accéder au crédit bancaire, certains indiquant s’être vus refuser un crédit à la consommation pour l’achat d’une nouvelle machine à laver. Une des animatrices a même précisé s’interdire d’avoir des enfants, malgré son désir d’en avoir, faute d’avoir une situation suffisamment stable.
- Une pénibilité significative
Les animatrices sont amenées à travailler dans un contexte anxiogène lié à la précarité de leur métier, avec des emplois du temps fluctuants, lesquels ont parfois un impact sur leur vie familiale. Elles font souvent état d’une fatigue générale associée à une charge cognitive élevée et à un manque de moyens mis à leur disposition pour leur permettre de bien faire leur travail. Selon le CNEA, « leurs conditions de travail et l’état de leur santé peuvent ainsi être critiques d’autant que les visites médicales d’embauche ne sont pas systématiques. De nombreux animateurs à temps partiel, même employés de façon récurrente, n’ont jamais vu un médecin du travail ([61]) ».
iii. Un métier en pleine évolution mais une formation largement insuffisante
Les animatrices rencontrées ont toutes indiqué que leur métier connaissait actuellement des changements importants. Ainsi, par exemple, elles doivent de plus en plus fréquemment assurer l’encadrement d’enfants en situation de handicap. Pour autant, elles ne disposent d’aucune formation leur permettant de les prendre en charge.
La formation continue semble en effet quasiment inexistante. Les animatrices adoptent donc des stratégies d’autoformation à partir des ressources qu’elles parviennent à trouver sur internet : « Google est le meilleur ami de l’animateur » a ainsi indiqué ironiquement l’une d’entre elles.
« Tous les jours, je me lève avec la boule au ventre dans l’attente de savoir si mon contrat va être renouvelé, c’est frustrant. Les vacataires sont intégrés à des projets annuels sachant que du jour au lendemain, ils peuvent ne pas être renouvelés. »
« Ce qui est compliqué, c’est d’avoir des congés ; on a deux jours de congé mais c’est très dur de les prendre… »
« J’ai voulu passer le brevet d’aptitude aux fonctions de directeur d’accueil collectif de mineurs (BAFD) : ça m’a été refusé quand j’étais vacataire mais même quand je suis devenue contractuelle…On est là avec plein de motivation et d’envie mais on est freiné à chaque fois. »
« Avec mon compagnon, on s’interdit pour l’instant d’avoir des enfants, même si ça fait longtemps qu’on est ensemble ; on attend que j’aie une situation plus stable… »
Propos recueillis auprès d’animateurs et animatrices périscolaires exerçant dans la ville d’Amiens
- Des métiers qui souffrent d’une absence manifeste de reconnaissance sociale
Malgré le fait que ces métiers sont essentiels au bon fonctionnement de notre société et appelés à se développer, ils sont très peu reconnus socialement. Comment expliquer l’absence de reconnaissance de ceux qui, pourtant, « tiennent à bout de bras la charpente de l’État social et contribuent à la reproduction de la société » ([62]) ?
- La tolérance de la société à la précarité des métiers du lien
La société est extrêmement tolérante à la précarité des salariés des métiers du lien. Ce sont en effet des métiers majoritairement exercés par des femmes, identifiés comme proches de la sphère domestique et comme étant des métiers d’appoint très peu techniques. Les compétences qui y sont déployées sont vues comme un prolongement des compétences naturelles. « La technicité des emplois (…) est difficile à appréhender pour les métiers où le relationnel est important ; on a tendance à nier la composante technique de ces pratiques et à les reléguer dans le champ du comportement personnel, du purement informel, voire du naturel » ([63]).
L’absence de valorisation des métiers du lien tient aussi au contexte économique et politique actuel. Nous traversons une période de forte précarisation des emplois et de chômage élevé qui empêche l’amélioration des conditions d’exercice de ces métiers. « Tant qu’il y aura un grand nombre de personnes prêtes à travailler pour un salaire aussi faible (notamment des femmes ou des personnes issues de l’immigration), ces métiers ne seront pas davantage valorisés » a rappelé l’économiste François-Xavier Devetter lors de son audition par la mission. Dans ces conditions, la main invisible de l’économie de marché ne peut seule permettre à revaloriser les métiers du lien. Des politiques volontaristes sont nécessaires.
L’invisibilité des métiers du lien est également due aux difficultés, pour les salariés, de faire entendre leurs revendications. Dans ces métiers, les espaces collectifs sont peu nombreux, ce qui engendre une moins bonne connaissance des droits par les travailleurs et une moindre capacité à les faire valoir. De plus, comme l’a bien indiqué le journaliste Pierre Rimbert lors de son audition, « il est très difficile d’organiser des luttes et des grèves dans ces métiers, il n’est pas envisageable d’arrêter de nourrir une personne en situation de dépendance de la même manière que l’on peut arrêter un train ! ».
Plus largement, vos rapporteurs considèrent que la dévalorisation des métiers du lien est le reflet du regard contemporain porté sur les plus fragiles et de la faible valeur accordée aux liens en règle générale.
- Les animatrices périscolaires
Il s’agit également d’un métier très majoritairement exercé par des femmes. 69 % des animateurs socio-culturels sont des femmes ([79]). Il n’existe malheureusement pas de statistique nationale portant sur les caractéristiques sociodémographiques des animateurs périscolaires. Il est probable que le pourcentage de femmes soit encore plus élevé dans le périscolaire comme le montrent certaines monographies.
L’absence de reconnaissance du métier s’explique en partie par le fait que l’espace de l’animation est encore pensé comme un espace militant, jeune et « de transition ». Or, la réalité est très différente. Comme l’a bien indiqué le sociologue Francis Lebon lors de son audition, l’animation périscolaire est un espace ouvert tant à des personnes pour qui l’animation est un métier à temps plein et la seule base de leur revenu qu’à des personnes qui sont « de passage » (notamment des étudiants qui travaillent surtout le mercredi et pendant les vacances scolaires). Alors que dans les communes les plus aisées, les animatrices sont plus souvent des étudiantes que des professionnelles, on constate l’inverse dans les communes les moins aisées.
L’absence de reconnaissance des animatrices périscolaires tient également au manque de valorisation du temps périscolaire en lui-même. Ce dernier n’est en effet pas reconnu pour ce qu’il devrait être, à savoir un temps d’émancipation de l’enfant. Il reste considéré comme moins important que celui passé par les enfants pendant la classe. Le terme même de « périscolaire », qui place ce temps à la périphérie du temps scolaire, voire le terme de « garderie » illustrent cette dévalorisation. Cela s’explique par l’approche française de l’éducation qui est essentiellement centrée sur l’école, ce que le chercheur Dominique Glasman nomme si bien « l’envahissement du scolaire » ([80]). Il est pourtant essentiel d’articuler les apprentissages explicites à l’école et les apprentissages implicites en dehors de l’école. Pour vos rapporteurs, le temps périscolaire doit être l’occasion de découverte d’activités, de pratiques, de modalités de fonctionnement auxquelles souvent ni l’école, ni la famille ne donnent accès ([81]).
L’absence de valorisation du temps périscolaire engendre parfois de fortes tensions entre enseignants et animateurs : les premiers revendiquent la maîtrise de compétences qui feraient, selon eux, défaut aux animateurs. « Les enseignants se sentent remis en cause par le “ nouveau visage des classes populaires ” représenté par les animateurs périscolaires qui empiètent sur leur territoire professionnel » ([82]).
Si le métier d’animatrice périscolaire est si peu valorisé aujourd’hui, c’est aussi parce que sa reconnaissance paraît socialement peu légitime face à celle du bien-être de l’enfant ([83]). Ainsi, par exemple, les différentes réformes sur les temps périscolaires ont été débattues dans les champs politique et médiatique mais uniquement au regard de leurs conséquences sur les enfants et non pas au regard de leurs répercussions sur les conditions de travail des différents professionnels de l’animation.
Ce manque de reconnaissance est douloureusement vécu par celles qui exercent ces métiers alors même qu’elles éprouvent souvent une vraie fierté dans leur travail.
- Une fierté des salariées à exercer des métiers aussi essentiels qui contraste avec le manque de reconnaissance institutionnel
Les salariées rencontrées ont largement mis en avant leur fierté d’exercer des métiers aussi utiles. Cette fierté est parfois renforcée par la reconnaissance que leur donnent les familles, laquelle ne pallie néanmoins pas le manque total de reconnaissance des institutions. Les salariées vivent ce manque de considération institutionnel comme une vraie déchirure : elles sont conscientes de leur utilité sociale sans pour autant voir leur situation professionnelle évoluer et pouvoir dignement vivre de leur métier.
- Les animatrices périscolaires
- Les évolutions du métier liées à l’histoire de l’éducation populaire
De la fin du XIXème siècle aux années 1950, trois grandes figures d’acteurs, correspondant aux trois clivages idéologiques alors majeurs en France, ont joué un rôle actif dans les activités mises en place en direction de la jeunesse et dans l’éducation populaire ([117]). Il s’agit du prêtre et des religieuses pour le courant catholique, de l’instituteur pour les républicains et de l’élu local ou du syndicaliste pour les réseaux socialistes. Chaque réseau fonctionnait à partir du bénévolat et du volontariat.
La relation entre l’éducation populaire et l’école « est ambivalente dès le départ, entre proximité revendiquée et méfiance réciproque » ([118]). Si l’éducation populaire a toujours valorisé une pédagogie du faire, différente de la forme scolaire, force est de constater qu’elle s’est construite en connexion étroite avec l’école et ses professionnels. Au début du XXe siècle, les instituteurs ont été encouragés par l’État à s’impliquer dans l’éducation populaire laïque pour concurrencer les œuvres de l’Église. La Ligue de l’enseignement, principale fédération d’éducation populaire, a ainsi pu obtenir le concours d’enseignants mis à disposition (MAD) payés par l’éducation nationale et conservant leur statut de fonctionnaire.
Le champ de l’animation a émergé d’une double transformation de l’éducation populaire.
Tout d’abord, l’éducation populaire a été institutionnalisée. Les bénévoles et les occasionnels ont peu à peu fait place à des professionnels exerçant à plein temps dans des associations ou des collectivités locales. L’animation s’est progressivement construite comme un champ professionnel à part. À compter des années 1960, des diplômes spécifiques ont été créés et une réflexion sur le statut des animateurs s’est engagée à l’échelon national, sous l’impulsion de l’État et du monde associatif. Une convention collective de l’animation a été signée en 1988 et une filière animation a été créée en 1997 au sein de la fonction publique territoriale.
Ensuite, les enseignants ont perdu l’essentiel de leur rôle dans l’éducation populaire. La disparition de la pratique de la mise à disposition, par le ministère de l’éducation nationale, de postes d’enseignants (principalement du premier degré) auprès d’associations œuvrant à la périphérie de l’école et issues de la branche laïque de l’éducation populaire y a fortement contribué. La loi de finances pour 2006 ([119]) a transformé les mises à disposition en détachements et prévu le versement d’une subvention aux associations pour leur permettre de salarier un nombre équivalent d’enseignants détachés. Il n’y a aujourd’hui presque plus aucun personnel enseignant détaché au sein des associations.
- Une absence de vraie politique nationale du périscolaire
On aurait pu penser que ces deux évolutions (institutionnalisation de l’animation et éloignement du monde enseignant) conduiraient à la mise en place d’une vraie politique nationale du périscolaire.
Au contraire ! Les réformes du temps scolaire se sont enchaînées sans cohérence : en 2008, la semaine de 4 jours a été instaurée ; en 2013, le retour à la semaine de 4 jours et demi a été décidé et en 2017, le choix a été laissé aux communes de revenir à la semaine de 4 jours. Il n’y a jamais eu de réel débat sur ce que l’État devait proposer aux enfants en dehors du temps scolaire. La municipalisation de la politique du périscolaire – l’accueil périscolaire est en effet un service public administratif facultatif que chaque commune décide librement de mettre en place – peut expliquer, en partie, l’absence de réflexion nationale sur le périscolaire ainsi que les hétérogénéités territoriales.
Les récentes réformes ont également très largement laissé de côté la question des conditions de travail des animatrices périscolaires. Comme le rappelle le CNEA au sujet de l’actuel « plan Mercredi », qui octroie des financements spécifiques aux collectivités pour l’organisation des activités périscolaires, « l’organisation et la qualité des temps périscolaires ne peuvent dépendre que d’un plan de financement mais bien d’une réflexion globale sur la qualification et l’emploi dans ces secteurs ». ([120])
Pour vos rapporteurs, le politique a cependant un rôle majeur à jouer pour construire un temps périscolaire dans l’intérêt de tous les enfants et pour structurer le métier d’animateur. À partir du moment où l’on considère que le temps en dehors de l’école n’est pas uniquement un temps « privé » mais bien un temps « libre » constitué d’apprentissages informels de compétences civiques et sociales, une réflexion et un débat national s’imposent sur la nature des activités à mettre en place. Il est essentiel d’assumer pleinement ce temps comme un temps noble de loisirs offrant des formes de socialisation différentes et permettant ainsi de redonner confiance à des élèves mis en difficulté à l’école.
« J’ai accueilli un jour un enfant de sept ou huit ans. Il avait été exclu de son école précédente et les maîtresses, la directrice, les agents de service étaient en train de le stigmatiser à cause de ça. Cet enfant a de grandes chances d’être en échec scolaire. Au centre, on lui donne accès au foot, une activité où il est à l’aise ! »
Propos recueillis auprès d’un animateur de la ville d’Amiens
Loudmila, animatrice : “On m’appelle au jour le jour… Ça reste une angoisse, une grosse inquiétude ”
« J’ai commencé en 2009, j’étais encore à l’école, l’année du bac français, on était cinq à la maison, et il fallait ramener de l’argent pour s’en sortir. J’ai passé le Bafa, je l’ai payé de ma poche, je me suis dit : au final, derrière, ça va être rentable. J’ai dû payer 500€ et quelques. J’ai démarché auprès des centres de loisirs pour passer la pratique, et le centre où je suis encore m’a prise, Le Vent du large. J’ai fait les deux mois d’été. 1 300 par mois, à peu près. Et j’ai continué pendant l’année, parce qu’on m’appelait toujours pour travailler. Les midis, les soirées, les mercredis aussi. Les petites vacances. Donc, à un moment donné, j’allais plus à l’école. J’étais bonne élève, pourtant…
« Francois Ruffin : Mais quand est-ce que vous vous êtes dit : “En fait, ça je veux en faire mon métier” ?
« Vers 21 ans, je me suis dit : “Pourquoi ne pas continuer dans cette branche ?” Quand j’étais petite j’allais au centre, et j’adorais, par exemple les activités “danse”, ça m’a donné envie d’en faire, c’est devenu ma passion, que je transmets à mon tour, maintenant, avec les enfants.
« Donc, ça fait onze ans que vous vous êtes professionnalisée, mais finalement, côté diplômes, formations, comment ça s’est passé ? Et pour le statut ?
« Pour le diplôme, je n’ai que le BAFA. J’ai voulu passer le BAFD, mais ça m’est refusé parce qu’il n’y a pas de besoin sur la commune. Pour le statut ? Je suis vacataire, on m’appelle au jour le jour pour le mercredi. Vers 9 h 30, en fonction du nombre d’enfants, le centre se rend compte qu’il y en a trop : “Oh, mince, il nous manque un animateur, on va appeler Loudmila. ” En plus, faut speeder. J’ai tourné sur plusieurs structures.
« Donc vous faites bouche-trou ?
« C’est ça, exactement. Avec cette peur, aussi : si une autre structure t’appelle, que tu réponds “oui », et qu’ensuite ton centre habituel appelle aussi, et que tu ne peux plus, tu te dis : “ils ne m’appelleront plus.” Il y a cette peur, à chaque fois. En moyenne, on m’appelait trois mercredis sur quatre. Pour les temps du soir, on m’appelle parfois à 14 h. Et il faut être là à 16 h 30…
« Mais alors, pour la qualité du travail ? Vous ne pouvez pas faire des activités très structurées…
« Exactement. On peut pas préparer à l’avance, on ne sait pas si on va travailler, avec qui, où, quels âges. Le mercredi pareil. Impossible de mettre en place un projet. En septembre, c’est la grande angoisse. Est-ce qu’on va être repris ? Et en vacataire, tu es payée le mois d’après. Le jour où on m’a annoncé que j’étais “auxiliariat ”, j’ai pleuré parce que j’allais avoir des vacances.
« Parce que vous n’aviez pas pris de vacances ?
« Depuis neuf ans. Tu crains toujours de partir, que les centres t’appellent et qu’ensuite ils te raient. 9 ans… Personne ne tiendrait le coup. D’autant que, sans me lancer des fleurs, je m’investis énormément au boulot…Maintenant, j’ai un contrat renouvelé, tous les mois, ou tous les deux mois. Ca reste une angoisse. Fin décembre, j’ai demandé à ma directrice de centre trois ou quatre fois des nouvelles du renouvellement, elle ne savait rien, je ne l’ai appris qu’au dernier moment.
« Et avec votre salaire…
« C’est dur. Une fois les factures payées, il ne reste pas grand-chose. Surtout, c’est compliqué d’imaginer une vie avec des enfants, parce que quand je fais les comptes. Avec monisieur, on comptait faire des fiançailles, avoir des enfants, donc tout est mis en attente… Pourtant, ça fait onze ans qu’on est ensemble. Mais j’ai peur de me lancer et de ne pas pouvoir assumer derrière. Un CDI, au moins, ça serait la sûreté. Je dormirais reposée, en me disant : “Bah, écoute, tu auras ton salaire à la fin du mois, quoi qu’il arrive.” Parce que là, demain, si je suis enceinte, je n’ai rien, rien du tout…
« Et vous n’êtes pas sûre de retrouver votre boulot après la grossesse ?
« Exactement. Mes collègues me disent “qu’est-ce que tu attends ? ” Je réponds : “Oui, mais je vais partir, et vous me rappellerez pas derrière. Et puis, je vais avoir quoi pendant mon congé ? ” Ça ne sera même pas un congé maternité. Et ça joue énormément sur le moral. Je me donne à fond, avec quoi comme récompense derrière ? Rien, en fin de compte. On se demande limite pourquoi on travaille.
« Et avec les enfants ?
« Ça se passe super bien. Le contact avec les enfants, les parents, les enseignants, c’est génial. Le mercredi, on fait un projet cinéma, avec des saynètes, avec un monsieur qui fait du théâtre. Je suis calée aussi en activités manuelles, il n’y a pas que de la danse. Je me suis mise à un projet cuisine, là.
Et au-delà des projets, les enfants viennent se confier sur des choses qu’ils vivent chez eux.. Une petite fille m’a dit “moi je te considère comme ma grande sœur ”, etc. Je me dis que je leur apporte quelque chose de fort, et dans les activités, et dans la relation. Je pense que je leur ai apporté une confiance énorme. Au projet “danse ”, une petite fille pleurait, elle avait peur que les autres se moquent d’elle. Je lui ai expliqué : “quand on fait de la danse, on doit tous s’aider les uns les autres. “Essaie, tu verras, ça va très bien se passer, je serai là pour t’accompagner. ” Elle a fait une séance, deux séances, et au bout de la troisième elle était complètement métamorphosée. Avec le sourire ! Et elle est venue me remercier : “Tu avais raison, ça s’est super bien passé.”
« Les parents aussi, il faut les rassurer : le soir, je prends parfois un quart d’heure pour expliquer au papa, à la maman, comment s’est passée la journée.
« Comment vous voyez votre avenir, alors ? Est-ce que vous imaginez abandonner ce métier là ?
« Non, non, non, non. Franchement, pour le coup, je vois ce que je vaux, ce que je fais, je me dis “non non non, je préfère rester ”. C’est pas un sous-métier. On porte vraiment des valeurs. Sinon, je serais déjà partie…
« Et pour obtenir un CDI, quelles discussions vous avez avec la Mairie ?
« Aucune. Il faut attendre que des postes se libèrent. Il y a une liste, qui se base sur l’ancienneté, le nombre d’heures… Et pour “cdiser ” ils donnent la priorité à cette fameuse liste… Les dernières déprécarisations, je pensais faire partie du lot, y avoir droit, et au final non. Je me disais : “C’est bon, ça fait dix ans, c’est sûr tu vas être sur cette liste.” Dans ma tête, c’était vraiment “je vais être dépréca ”, dix ans c’est sûr. Quand ils ont appelé, j’ai pleuré. »
- PROPOSITIONS POUR DE MEILLEURS STATUTS ET DE MEILLEURS REVENUS
Les propositions sur lesquelles vos rapporteurs souhaitent mettre l’accent sont nécessaires : hausse des salaires, réduction des temps partiels, baisse de la pénibilité physique et morale, droit effectif à une formation ouvrant de vraies perspectives de carrière, reconnaissance sociale de l’ensemble de ces professionnels.
Tout ne peut pas reposer sur l’espérance que les conventions collectives de demain seront plus favorables aux salariés. Le déséquilibre dans le rapport de force entre les décideurs publics (État ou collectivités), les structures employeuses et les salariées ne permettra pas d’améliorer suffisamment les conditions de travail. La puissance publique doit désormais, plus que jamais, prendre ses responsabilités et offrir aux salariés des métiers du lien un statut et un revenu dignes du service apporté à la collectivité.
- COMPTABILISER LES TEMPS DE TRAVAIL INVISIBLES ET REVALORISER LES SALAIRES
La revalorisation des rémunérations est, aux yeux de vos rapporteurs, le préalable à la reconnaissance sociale de tous les métiers du lien et la mesure la plus urgente à mettre en œuvre.
Les problématiques sont les mêmes pour l’ensemble des métiers du lien étudiés. L’augmentation des salaires doit passer par une revalorisation des grilles salariales mais également par une réduction des temps partiels, notamment grâce à la comptabilisation de l’ensemble du temps de travail réel effectué. Tous les temps de travail réalisés doivent désormais être rémunérés comme du travail effectif, qu’il s’agisse des temps de formation, d’auto-formation, de coordination, de prise de poste, d’échanges entre collègues, de préparation, de déplacements ou de relation humaine avec les personnes et leur famille. C’est le cas dans la plupart des métiers. Le temps qu’un journaliste met pour préparer la rédaction de son article (recherches documentaires par exemple) est bien considéré comme du temps de travail effectif, tout comme l’est le temps qu’un professeur met pour préparer ses cours. Pourquoi faudrait-il faire une exception pour les salariées des métiers du lien ? Le Code du travail indique d’ailleurs bien que le temps de travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. Or, une AESH qui adapte, le soir chez elle, le cours de l’enseignant aux handicaps de l’enfant qu’elle accompagne ne vaque pas à ses occupations personnelles. Une assistante maternelle qui se forme aux techniques de l’éveil du jeune enfant ne vaque pas non plus à ses occupations personnelles, tout comme l’aide à domicile qui échange avec une autre professionnelle sur les bonnes pratiques à mettre en œuvre ou l’animatrice périscolaire qui élabore, chez elle, les animations qu’elle fera avec les enfants le lendemain.
L’autonomie économique est d’autant plus indispensable qu’elle permettra à l’ensemble de ces salariées de participer davantage au débat public sur la société de demain. « On ne peut pas contribuer à la définition de notre société, de ce qui est important sans en avoir les moyens financiers » ([1